Comment les projets SMR vont-ils changer la donne dans le secteur de l’énergie ?

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C’est une révolution dans le secteur de l’énergie. Un modèle de réacteur nucléaire innovant capable de jouer un rôle clé dans la transition énergétique. Cette révolution porte un nom : « Small Modular Reactors » ou SMR. Ce sont en fait des petits réacteurs nucléaires, dont la puissance est comprise entre 50 et 300 mégawatts. Environ 70 projets sont aujourd’hui identifiés dans le monde, à des stades plus ou moins avancés.

Certains modèles pourraient être disponibles sur le marché mondial autour de 2030 et couvrir, selon l’agence de l’OCDE pour l’énergie nucléaire, jusqu’à 10% de la production nucléaire dans le monde d’ici 2040. Les SMR pourraient répondre aux besoins de régions isolées, de pays dont le réseau électrique est peu développé ou dont les capacités financières ne permettent pas d’accéder au marché des gros réacteurs. Et c’est donc de la place des SMR dans le monde d'aujourd'hui et de demain dont nous allons parler dans cet épisode.

Benoît Blassel

Benoît Blassel

Directeur de Business Unit - New Build France chez Assystem

Laurence Roy

Laurence Roy

Directrice technique et responsable de projets en lien avec les SMR

Comment les projets SMR vont-ils changer la donne dans le secteur de l’énergie ?

Dans le secteur de l’énergie, les Small Modular Reactors (SMR) sont une révolution : ce modèle innovant de réacteur de faible puissance pourrait, selon l'agence de l'OCDE, couvrir jusqu'à 10 % de la production nucléaire dans le monde d'ici 2040. Et donc contribuer à accélérer la transition énergétique en développant des solutions bas carbones dans des régions dépourvues d’infrastructures et d’équipements. Explications de Laurence Roy, directrice technique responsable des projets en lien avec les SMR, et Benoît Blassel, en charge de l’ensemble des projets de construction neuve de réacteurs chez Assystem.

 

Les SMR, un rôle clé dans la transition énergétique

Les SMR (Small Modular Reactor) signifient petit réacteur modulaire en anglais. Ils se caractérisent par une double particularité : d'une part, une puissance plus faible (entre 50 et 300 mégawatts) que les réacteurs électrogènes traditionnels récemment construits ; et d'autre part, une réflexion très poussée sur le mode de fabrication, pour être au maximum préfabriqué, par exemple en usine, et assemblé sur site de la façon la plus standardisée possible. Très novateurs, les SMR apparaissent comme une solution pour accélérer la transition énergétique. Ils pourraient en effet répondre aux besoins de régions isolées, de pays dont le réseau électrique est peu développé ou dont les capacités financières ne permettent pas d'accéder aux marchés de gros réacteurs. Environ 70 projets sont aujourd’hui identifiés dans le monde, à des stades plus ou moins avancés. À noter qu’il existe des SMR qui se basent sur des technologies similaires à celles utilisées dans les réacteurs existants aujourd'hui à eau pressurisée, et des réacteurs qui utilisent d'autres types de technologies comme les réacteurs à sels fondus, projet sur lequel travaille Assystem, à travers le déploiement d’un jumeau numérique.

« Par leur nouveauté, les SMR sont des « ovnis », indique Benoît Blassel, qui posent de multiples défis, techniques, technologiques, réglementaires et imposent des changements de modèle pour l’avenir. »

 

Premier défi, relever les challenges techniques

« Les SMR remettent au goût du jour certaines options et technologies tout en ouvrant des possibilités d'usages qui vont au-delà de la production d'électricité traditionnelle comme la production de chaleur industrielle, l’incinération de déchets, ou l’électrification de zones isolées hors réseau ou autres », détaille Benoît. Au-delà, c’est le modèle économique même du SMR qui est interrogé, comme le précise Laurence. L’enjeu est clairement de pouvoir rendre disponibles les réacteurs sur le marché, ce qui implique de relever différents challenges : 1- liés à la mise à l'échelle du réacteur ;2- à leur industrialisation – avec l’objectif de prendre en compte tous les enjeux de fabrication dès les phases de conception ; et 3 - à la flexibilité de leurs usages : « Il faut pouvoir répondre aux différents besoins et différentes localisations. Ce qui fait que dans le cadre même des études, on va retrouver des enjeux de standardisation, de réplication et de modularité », continue Laurence. Au-delà de ces enjeux, il est nécessaire de traiter des questions d'innovation et de passage à l'échelle industrielle, à partir d’éléments qui ne sont encore que sous des formats d'innovations et de préconcepts. C’est un autre challenge.

 

Deuxième défi, co-construire le réglementaire

Sur l’aspect réglementaire ensuite, analyse Benoît, il n’existe pas encore de corpus formel adapté qui permettrait à un concepteur ou un constructeur de se laisser guider tout au long des étapes de la conception, de la certification et de la construction. « Usuellement, les approches réglementaires sont appréhendées à l’aune des retours d’expérience. Dans ce cas de figure, la nature très différente des projets, les enjeux d’internationalisation, les localisations variées, imposent de réinterroger les contextes réglementaires et les manières de travailler », décrypte Laurence. En réalité, la difficulté ne se situera pas directement dans le niveau de sûreté des réacteurs mais dans la démonstration de ce niveau de sûreté. « Tout l’enjeu résidera dans la capacité à construire une démarche de démonstration de sûreté, qui n’existe pas en l’état -en particulier pour les modèles qui font appel à des filières un peu moins répandues, comme les réacteurs à fondue ou les réacteurs à haute température -, sur laquelle concepteurs, constructeurs, exploitants, pourront s'appuyer pour mener à bien leur projet de certification et d'autorisation », commente Benoît. Cet objectif va nécessiter un dialogue d'une autre nature entre tous les acteurs concernés (concepteurs, exploitants, autorités de sûreté), pour co-construire les exigences du nucléaire du futur qui soient non seulement adaptées à ces nouveaux réacteurs mais également suffisamment harmonisées d'un pays à l'autre. « Ce dernier point est fondamental pour permettre la réplication en série, à grande échelle », appuie Benoît.

« La promesse économique des SMR réside essentiellement dans leur capacité à être répliqués en série à l'identique, quel que soit le pays, le site, l'exploitant. Ce qui demande donc un effort d'harmonisation très important sur les exigences de licensing au niveau international. » Benoît Blassel

 

Troisième défi, composer et interagir avec un écosystème nouveau

Un autre point de différenciation est l'écosystème industriel mobilisé autour de ce type de projet. À côté des acteurs conventionnels du nucléaire (les établissements de recherche fondamentale, les grands électriciens exploitants, les concepteurs de technologies…), s’engagent un certain nombre d’acteurs non traditionnels : par exemple des acteurs industriels non spécialisés dans le nucléaire, mais intéressés par les perspectives d’une telle énergie, par ses quantités adaptées à l'exploitation d'un site industriel et ses possibilités d’usages (chaleur ou de l'énergie sous d'autres formes), qui peuvent se positionner en tant que client, investisseur… Ou encore des start-ups qui apportent des méthodologies très agiles et des pratiques de conduite de projet très différentes de celles qui ont été établies dans l'industrie (avec beaucoup de simulations et de prototypes numériques). « Pour les acteurs plus historiques comme Assystem, cet écosystème est à la fois un challenge et une opportunité pour requestionner chacune de nos pratiques et peut-être de contribuer à trouver des solutions parce nous aurons abordé des vieux problèmes avec un regard très neuf », souligne Benoît.

« On voit s’engager des acteurs privés de taille moyenne, voire des start-ups qui investissent le terrain sans expérience, mais également sans le poids d'un historique ou d’habitudes. » Benoît Blassel 

 

Nouveau business model et changement de paradigme

« Je pense qu'à ce stade, les SMR portent une incroyable promesse qui se précise de jour en jour. Mais il y a beaucoup de jalons à passer sur le plan technique mais aussi économique », relève Benoît. De fait, les SMR reposent sur des modèles assez disruptifs en termes de production de masse et de commercialisation, impliquant un fonctionnement en mode supply-chain : en conséquence, il sera nécessaire de concilier « développement des capacités de fourniture probablement locales, pour limiter les coûts de production, tout en gardant quand même un côté standard, d'un site de développement à l'autre ». Un paramètre qui complexifie l’équation à résoudre. Plus globalement, c’est un nouveau business model qui va émerger, à l’opposé de celui du nucléaire traditionnel. En effet, pendant longtemps, la logique économique qui a prévalu pour le nucléaire était, compte tenu du montant d’investissement très conséquent, d'augmenter le niveau de puissance pour faire baisser le coût de l'électricité produite. Avec les SMR, c’est la capacité à trouver des solutions technologiques et méthodes de construction différentes et à les déployer à grande échelle qui permettra de réduire le coût d'investissement unitaire et donc de produire de l'électricité ou une autre forme d'énergie de façon compétitive. Avec à la clé, des exploitants moins contraints par les poids et les volumes des investissements nécessaires. « Ce modèle économique va nécessiter une phase de maturation passionnante à observer », poursuit Benoît.

Ce changement de paradigme se retrouvera dans la réalisation des SMR, en phase d’étude et de fabrication. Sur ce plan, l’apport du digital sera déterminant pour gérer la complexité. Il permettra de faire travailler ensemble les différents interlocuteurs, de mieux partager les travaux mais aussi, grâce à la modélisation et avec l’appui de la méthodologie d’ingénierie système, de mieux orienter et gérer la définition initiale des SMR.

« Aujourd'hui on cherche à faire du projet autrement, d'une façon différente, avec des acteurs différents. Le digital permet cela par sa capacité à gérer la complexité, à faire travailler ensemble, à simuler différents choix. » Laurence Roy 

 

Et demain ?

Le nucléaire est au cœur d'un certain nombre d'enjeux de souveraineté énergétique et technologique. Cette démarche SMR qui porte une ambition de déploiement de masse à l'international devra nécessairement intégrer toutes ces problématiques de géopolitique, de maîtrise des technologies et de flux de matière. Ce sera l’une des conditions de son développement. « Nous pensons que si les SMR réalisent effectivement leur promesse de fournir une énergie stable, pilotable, décarbonée, dans des formats à quelques centaines de mégawatts, et pour peu que l’on arrive à dépasser les enjeux techniques et économiques, ils auront leur place de façon évidente, en complément du nucléaire de forte puissance dans tous les mix énergétique », concluent Benoît Blassel et Laurence Roy. Ce sera également la promesse de nouvelles compétences qui constitueront un facteur d’attractivité pour les jeunes entrant dans le nucléaire et participeront à la valorisation des experts, tissant ainsi un lien entre les générations.

 

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